Le prêt de données : une solution temporaire, mais à quel prix ?
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Savez-vous pourquoi tous les pays en développement se battent pour disposer de données essentielles, fiables, pertinentes et actualisées ?
Parce qu’un jour, quelqu’un a dit :
« Si vous n’avez pas de données, on va vous les prêter. »
Hein ? Que signifie cette phrase étrange, presque provocatrice ?
Plongeons dans cette réalité méconnue mais bien réelle : le prêt de données.
Que signifie « prêter des données » ?
L’expression peut s’expliquer à travers plusieurs pratiques observées dans les pays à faibles capacités statistiques :
1. Partage de données entre pays ou institutions
Des organisations internationales telles que la Banque mondiale, le FMI, l’ONU, l’OMS, l’UNICEF, ou encore la BAD, peuvent fournir à un pays des données estimées ou des proxies lorsqu’il ne dispose pas de ses propres statistiques fiables.
Exemple : si un pays n’a pas de données à jour sur son PIB, le FMI peut produire une estimation basée sur des modèles économiques.
2. Transfert de données anonymisées
Certains États partagent volontairement leurs données anonymisées (démographiques, sanitaires, etc.) afin d’aider d’autres pays à élaborer leurs politiques publiques.
Exemple : un pays sans système de surveillance épidémiologique peut utiliser les données d’un voisin présentant des caractéristiques similaires.
3. Utilisation de données synthétiques ou modélisées
En l’absence de données réelles, des technologies comme l’intelligence artificielle ou la modélisation statistique peuvent générer des données plausibles, utiles pour la planification urbaine, climatique ou économique.
4. Échange temporaire de données dans le cadre d’accords internationaux
Certains accords bilatéraux ou multilatéraux permettent le prêt temporaire de données stratégiques (ex. : images satellites pour l’agriculture, la gestion des catastrophes naturelles, etc.).
Quels sont les risques et les limites ?
Même si ces pratiques permettent de pallier des urgences, elles ne sont pas sans conséquences.
- Biais contextuel : Les données prêtées peuvent ne pas refléter fidèlement les réalités locales.
- Dépendance structurelle : À long terme, un pays peut devenir tributaire de sources externes, ce qui freine le développement de ses propres capacités statistiques.
La République centrafricaine ne veut pas rester dépendante. Posséder ses propres données, c’est détenir le pouvoir décisionnel.
- Souveraineté des données : Qui détient les données ? Qui décide de leur utilisation ?
Ces questions sont politiques, éthiques et stratégiques.
En conclusion
Le prêt de données est une solution d’appoint, mais jamais une stratégie durable.
Il ne remplace ni l’autonomie statistique, ni la mise en place d’un système national robuste, fiable et souverain.
Dans des secteurs aussi cruciaux que la santé, l’économie ou l’environnement, fonder ses décisions sur des données empruntées peut mener à des politiques mal adaptées, voire inefficaces.
Par Blaise Bienvenu ALI
Directeur Général de l’Institut Centrafricain des Statistiques et des Études Économiques et Sociales (ICASEES)
Version web et adaptation : Appolinaire GODOM OUALOU, Webmater à l'ICASEES